Le Bagua zhang est un des trois systèmes « internes » d’arts martiaux Chinois avec le Tai ji quan et le Xing Yi quan. Un principe fondamental du Bagua est l’emploi de mouvements circulaires – une méthode de mouvement qui requiert rapidité et grande précision dans les déplacements. Les maîtres de Bagua sont capables d’employer cette aptitude à tournoyer pour contourner l’adversaire, ou à tourner à l’intérieur des défenses de l’adversaire.
Mais le Bagua Zhang est plus qu’un art de défense. Il est bien plus une méthode physique d’unifier l’individu avec le flux de changement cyclique comme l’exprime l’un des classiques chinois : Le Yi Jing, ou Livre des Changements. Tentons maintenant de présenter de façon plus précise le Bagua Zhang. Le sujet n’est pas aisé, les Maîtres eux-mêmes disent qu’il est difficile à saisir, voire impossible pour une grande majorité de personnes. Visuellement, le Bagua est sans doute le plus étrange des Arts Martiaux, qu’ils soient externes ou internes, exotériques ou ésotériques. Le but de la pratique est de permettre au pratiquant de se mouvoir rapidement, tout en décrivant des cercles, de changer brusquement de direction, de plonger ou se redresser d’un seul coup, et de changer de nouveau de position, et ainsi de suite. Pour cela, il vous est conseillé de commencer par marcher lentement durant deux ou trois années en se déplaçant autour d’un centre, ensuite vous allez plus vite pour finalement vous déplacer à grande vitesse. La tradition ajoute qu’à ce stade les pans des habits flottent tel le drapeau fixé à une hampe. Ceci conduit à la deuxième étape, qui est de se déplacer derrière un adversaire rapidement, de renforcer le buste, les bras et les avant bras et d’obtenir ainsi une cohésion de tous les gestes. Ce renforcement des chaînes musculaires était parfois obtenu par l’adjonction de charges au niveau des poignets et des chevilles. L’étudiant finalement devait être en mesure de porter une tasse à thé dans chaque paume sans renverser une goutte du précieux brevage. On retrouve dans cette application de la pratique les éléments fondateurs de l’Aikido. L’utilisation de nombreuses références dans l’ouvrage « Métamorphose de la violence par l’Aikido de Sumikiri » de J.-D Cauphépé & A. Kuang en est une nouvelle illustration.
Au premier coup d’oeil, ces mouvements circulaires et rapides ne semblent pas avoir de rapport avec le Xing yi (1) ou le Tai ji quan (2). Ils ont pourtant des racines communes, tant formelles que philosophiques. Ils sont aussi porteurs du même message.
Le Bagua zhang signifie littéralement « huit diagrammes » et se réfère aux huit schémas fondamentaux de lignes parallèles décrits dans le Yi jing (3) ou Livre des transformations ou Livre des changements, condensé de diverses théories, dont certaines remontent à 800 avant J.-C. Les huit trigrammes sont les combinaisons de 8 trigrammes originels (8 positions principales des mains dans le Bagua zhang) expliquant toutes les transformations se produisant dans l’univers (ceci permet de trouver une solution optimale à tout moment du combat).
Comme pour le Tai ji quan, on ne trouve aucune trace de la pratique de cet art avant le XVIIe siècle, mais la philosophie qui le sous-tend a plus de trois mille ans. Le Bagua zhang s’est transmis de maître à élève pendant des générations tout comme beaucoup d’arts martiaux avant de laisser la moindre trace écrite. Nous aborderons cet aspect dans d’autres articles sur les trois hypothèses historiques qui sous-tendent cette pratique.
L’essence de cette discipline est la transformation. Le pratiquer, c’est « se transformer ». Le taoïsme, sur lequel se fonde le Bagua zhang, repose en partie sur l’idée que dans la nature, tout est dans un état d’évolution perpétuelle. Ainsi toute tentative d’imposer une forme ou une structure fixe ou immuable ne peut qu’être vaine. Ce n’est qu’une illusion née de l’incapacité d’accepter la nature transitoire de l’univers et de la vie humaine.
Le Bagua zhang, s’il semble parfois obscure, ne repose pourtant pas sur des notions ésotériques ou new-agistes comme certains veulent bien le faire croire. Il se révèle, dans la pratique, extrêmement pragmatique et efficace. Lorsqu’on aborde le Bagua zhang, il est nécessaire d’en intégrer la forme et la structure dans les mouvements que l’on effectue, telles sont les premières paroles que Sun Lu tang nous donna dans la présentation de son ouvrage sur le sujet.
Mais le principal objectif du Bagua zhang comme des autres disciplines internes, est le renoncement final à toute forme. Les exercices de Bagua zhang sont difficiles à apprendre, précisément parce qu’ils sont imprévisibles. Tout être qui se fie à des schémas de mouvements prédéterminés sera vulnérable devant un pratiquant qui connaît ces schémas. Chaque mouvement sera pour lui prévisible. Un maître de Bagua zhang réagit aux événements à mesure qu’ils se produisent et change constamment de forme en résonnance aux mouvements de l’adversaire. Ainsi le maître de Bagua zhang est-il capable de se transformer de manière instinctive et naturelle au gré des circonstances.
Jiang Rong qiao (4) [Jiang Jung-Ch’iao] aussi connu sous le nom de Jiang Kuang-Wu fut l’élève de Zhang Zhao Dong (5)[Chang Chao Tung]. Jiang Rong qiao fut le professeur de Sha Guo Zheng [Shao Kuo-Cheng]. Jiang est l’auteur de deux livres sur le Bagua Zhang. Son premier avait pour titre « Pakua Chang Hsin I » (Nouvelle méthode des huit paumes du diagramme) édité à Beijing en 1955. Le document suivant est extrait du deuxième livre publié dont la première édition sortit à Beijing en 1964.
Dans la préface de son premier ouvrage Jiang nous dit : “Il existe quatre écoles(6)de Bagua zhang : Forme des huit animaux, Forme du Dragon, Forme du Wu Dang et celle que je pratique nommée « Forme Originelle ».”Zhang Zhao Dong [Chang Chao Tung] fut l’élève de Cheng Ting Hua [Ch’eng T’ing Hua] et fut durant une courte période celui du Grand Maître fondateur de la lignée moderne de Bagua zhang : Dong Hai Chuan [T’ung Hai-Ch’uan]. Il est l’un des « 8 élèves avancés » dans la pratique du Bagua Zhang de Dong Hai Chuan. Cheng Ting Hua(7) [Ch’eng T’ing Hua], aussi connu sous le nom de Ch’eng Ying-Fang, fut l’élève du Grand Maître fondateur des lignées modernes de Bagua zhang Dong Hai Chuan [T’ung Hai-Ch’uan]. Il est selon la tradition l’un des « 8 élèves avancés » dans la pratique du Bagua Zhang de Dong Hai Chuan.
Annotations du texte :
Xing yi(1) : Xing Yi quan – Hsing I chuan – Hsing Yi K’iuan – Le Hsing Yi quan – Poing de la forme et de la pensée – une des anciennes écoles du boxe chinoise. Dans les sourses historiques il est aussi appelé le poing de l’Esprit et de la pensée; on rattache cet enseignement au Liu He ba fa quan (poing des 6 coordinations et des 8 harmonies). Dans l’étude de Qing Wangqi « Xin Yi quan Yuan Wei Kao » (I’étude détaillée du Xing Yi quan) il est dit : “On sait que cette forme provient de deux représentants de la famille Ji – Ji Lung et Ji Fen – ressortissants de la région de Puzhou ( province de Shanxi) qui apprirent cet art pendant plusieurs années”. D’autres sources attribuent le mérite de créer le Xing Yi Quan à Yue Fei, grand général de la dynastie des Song, ou au religieux indou Damo (Bodhidharma). Sun Lu tang un des maîtres les plus réputés de ce style est l’auteur de l’œuvre intitulée « Xing Yi quan Xue » (l’étude du Xing Yi quan).
En Chine, on associe généralement le Xing Yi quan, le Bagua zhang et le Tai ji quan. De nombreux maîtres considèrent le Xing Yi comme la première étape d’une progression qui va se développer dans les pratiques plus élaborées que sont le Taiji quan et le Bagua zhang.
Le Xing yi ressemble à un art extérieur. Les mouvements se font en ligne droite, en avant et en arrière, accompagnés de divers coups de poing et coups de pied. Mais si l’on regarde de plus près, on constate que tous ces mouvements sont arrondis et fluides. L’aspect «extériorisé» du Xing yi dissimule sa réalité profonde. Même son nom est paradoxal: Xing signifie forme, manifestation ou aspect extérieur, tandis que Yi signifie volonté, intention ou dessein. Cet art vise à maîtriser le corps par l’esprit.
La pratique du Xing yi se compose de techniques reposant sur les Cinq Eléments. Par ailleurs, d’autres formes du Xing Yi quan s’inspirent des mouvements de douze animaux.
Les Cinq Eléments sont le Feu, la Terre, le Métal, l’Eau et le Bois. Dans la pensée traditionnelle, ces éléments forment un cycle qui évolue dans le sens des aiguilles d’une montre.
Dans le Xing Yi quan, chaque élément correspond à une fonction spécifique et à une série de mouvements. Chacun est associé à un organe spécifique. Si l’un de ces organes présente un trouble quelconque, il suffit d’effectuer l’exercice correspondant pour améliorer son état. Par exemple le métal qui est associé à l’action de fendre (comme une hache) se rattache aux poumons.
Les fondateurs taoïstes du Xing Yi quan observèrent aussi avec soin les mouvements de animaux en recherchant, en chacun d’eux, le Yi, la volonté ou l’intention. Puis ils adaptèrent à l’homme le résultat de leur observation. Ainsi apparurent les formes animalières que cherche à reproduire l’élève de Xing Yi quan. Il ne s’agit pas de copier les mouvements des animaux. Il faut saisir le Yi de l’animal afin de trouver son Yi propre. Le Xing Yi quan devient ainsi un processus de révélation intérieure.
En observant et en imitant la forme extérieure d’un animal — le «Xing» — ‘on peut comprendre sa volonté ou son intention, le «Yi». Le débutant découvrira d’abord que c’est la volonté ou le yi qui crée la motivation au cours de l’exercice. L’esprit domine le corps, et il faut vouloir quelque chose avant de l’accomplir.
Dans le Xing Yi quan, chaque animal est à l’origine d’un mouvement qui s’inspire de sa forme extérieure et incarne son esprit tel qu’il est perçu. Les différents exercices se rattachent aux animaux suivants : Dragon, Tigre, Singe, Cheval, Tortue, Coq, Epervier, Hirondelle, Serpent, Grue, Aigle et Ours.
Tai ji quan(2) : Les treize mouvements de base, huit correspondant aux huit trigrammes et orientés dans les quatre points cardinaux et les quatre directions angulaires. Les trigrammes correspondent à celle dite du ciel antérieur ou de Fuxi: Qian est au sud, Kun au nord, Kan à l’ouest et Li à l’est, et les quatre autres trigrammes sont dans les directions angulaires. Voici les correspondances données par le texte de Wu Yuxiang. Ce sont aussi celles que l’on retrouve dans les écrits de Chen Pinsan: « Les treize mouvements sont:
parer, tirer vers l’arrière, faire pression en avant, repousser, tordre, tordre vers le bas, donner un coup de coude, donner un coup d’épaule.
Les quatre mouvements parer, tirer vers l’arrière, faire pression en avant, repousser, correspondent respectivement aux trigrammes Qian, Kun, Kan et Li, et aux quatre points cardinaux.
Les quatre mouvements tordre, tordre vers le bas, donner un coup de coude, donner un coup d’épaule, correspondent respectivement aux trigrammes Xun, Zhen, Dui, Gen, et aux quatre points collatéraux.
Yi jing (3) : (ou I Ching ou Yi king) Yi : facile, échanger; Ching : Chaîne d’un tissu. Méridien de longitude. (« Méridiens » de l’acuponcture). Livre Canonique. Les Wu Ching: « les Cinq Classiques » livre des mutations : Mode de lecture des choses de l’univers depuis l’infiniment grand jusqu’à l’infiniment petit, le Yi jing est un livre de sagesse. Le Yi jing est une collection de signes dont la signification la plus élémentaire est « oui », un trait plein : —— et « non », un trait brisé : — —. Dès les temps les plus lointains, ces traits simples engendrèrent des combinaisons plus complexes dont la signification est censée représenter toutes les situations possibles sur terre et dans le ciel. Ultérieurement on appellera yang, le trait plein et yin, le trait brisé. Les trigrammes, le plus souvent doublés en hexagrammes, montrent la transformation incessante de tout ce qui constitue l’univers.
Jiang Rong qiao (4) : (1891-1974)
Zhang Zhao Dong (5) : (1859 -1940) aussi nommé Zhang Zhan Kui (Chang Chan K’uei)
quatre écoles (6) : Il existe aujourd’hui dirons-nous une cinquième école qui est celle du “corps nageant”; cette forme a été créée par les maîtres à la demande du gouvernement, elle sert essentiellement pour les compétitions.
Cheng Ting Hua (7) : (1848 -1900) meurt durant la révolution des boxers en luttant contre les envahisseurs.